Lorsque le soleil disparaît à l’horizon et que l’obscurité enveloppe le monde, l’atmosphère change, devenant à la fois paisible pour certains et inquiétante pour d’autres. C’est comme si l’obscurité elle-même, avec son silence et son mystère, devenait le terreau fertile de nos anxiétés les plus profondes. Dans mon cabinet de psychothérapie, je reçois bon nombre de patients dont l’anxiété redouble avec la tombée de la nuit. C’est alors que surgissent les peurs les plus profondes. Les ruminations des pensées les plus négatives les hantent. Et quelques personnes sont parfois saisies par des crises d’angoisse terrassantes qui provoquent tremblements, palpitations et sensations d’étouffement. Ces dernières en arrivent à penser que la mort rôde. Or, il s’agit généralement d’un leurre de notre cerveau surchargé par la charge mentale.
La nuit, avec son voile sombre, amplifie souvent les préoccupations et les peurs qui restent latentes pendant la journée. Sans les distractions du quotidien, nos pensées ont la liberté de vagabonder. Les ruminations peuvent se multiplier, prenant des proportions démesurées dans l’obscurité. Ce phénomène n’est pas seulement une question de psychologie, mais également une question existentielle, qui remet parfois en cause notre propre sécurité ontologique. L’ombre, après tout, est nécessaire pour apprécier pleinement la lumière. Pourtant, la nuit pourrait être le voile protecteur du jour, notre refuge apaisant et le temps du doux repos et du sommeil réparateur. Mais, c’est dans l’ombre que les contrastes se forment, que les détails cachés deviennent visibles, et que nous sommes confrontés à la profondeur de notre être.
Prenons l’exemple de Sophie*, une patiente de mon cabinet de psychothérapie. Sophie est une femme brillante et accomplie de 38 ans. Mais dès que la nuit tombait, elle était envahie par des vagues d’angoisse. Ses pensées tournaient en boucle, revisitant chaque décision de la journée et amplifiant chaque petite inquiétude jusqu’à ce qu’elles deviennent insupportables. Cette spirale de ruminations nocturnes finissait par impacter sévèrement son sommeil, la laissant épuisée et vulnérable le lendemain.
Un jour, en séance, Sophie m’a raconté en détail ce qu’elle ressentait lorsque la nuit tombait :
« Quand le soleil commence à se coucher, je ressens une légère tension dans mon estomac. C’est presque imperceptible au début, juste une petite boule d’anxiété. À mesure que la lumière disparaît, cette boule grossit, se déplaçant lentement vers ma poitrine. Je commence à penser à tout ce que j’ai fait dans la journée, chaque interaction, chaque décision. Les petites erreurs prennent des proportions énormes. C’est comme si la nuit amplifiait tout.
 
Puis, quand la nuit est complètement tombée, cette anxiété devient presque tangible. Mes pensées s’emballent, je revis chaque moment en boucle, cherchant des signes de ce que j’aurais pu faire différemment. C’est un processus épuisant. Je sens mon cœur battre plus fort, mes mains deviennent moites. Parfois, je ressens une pression sur ma poitrine, comme si un poids énorme m’empêchait de respirer correctement.
 
Je me couche, mais les ruminations ne s’arrêtent pas. Au contraire, elles semblent s’intensifier dans l’obscurité de ma chambre. Les ombres autour de moi prennent des formes inquiétantes, et chaque petit bruit me fait sursauter. J’essaie de me rassurer, de me dire que ce ne sont que des pensées, mais elles ont un pouvoir immense la nuit. Je me tourne et me retourne, incapable de trouver le sommeil, mon esprit constamment en alerte. Je n’en peux plus. »
Sophie décrivait la tombée de la nuit comme une chute lente dans un puits sans fond. La transition du crépuscule à la nuit était pour elle une métaphore de la perte de contrôle, une descente dans un territoire où ses peurs prenaient le dessus. Pourtant, cette même obscurité contenait en elle une promesse de lumière, une lueur d’espoir que nous avons travaillée ensemble pour raviver.
En thérapie, nous avons exploré ces moments d’ombre à travers une approche classique d’inspiration psychanalytique et des séances d’hypnose. Nous avons cherché à comprendre les racines profondes de ses angoisses nocturnes, remontant aux expériences et aux émotions refoulées qui se manifestaient à la tombée de la nuit. Les séances d’hypnose ont permis à Sophie d’accéder à des parties de son inconscient, de revivre et de recontextualiser des souvenirs enfouis.
Grâce à l’hypnose, Sophie a pu se reconnecter à des moments de son passé qui alimentaient ses angoisses nocturnes. Ensemble, nous avons travaillé à transformer ces souvenirs en sources de compréhension plutôt qu’en sources de terreur. La psychothérapie classique, de son côté, a offert un cadre pour analyser et verbaliser ses peurs, pour les intégrer dans une narration plus large de sa vie.
Avec le temps et beaucoup de patience, Sophie a pu transformer son expérience de la nuit. Les angoisses se sont atténuées. Elles ont perdu leur pouvoir paralysant. La nuit est devenue pour elle un moment de réflexion et de calme, un espace où elle pouvait trouver une certaine paix malgré les ombres.
Cette histoire illustre combien la nuit, bien que souvent source d’angoisse, peut aussi être une période de profonde introspection et de croissance. En apprenant à naviguer dans l’obscurité, nous découvrons des facettes de nous-mêmes qui restent invisibles à la lumière du jour. C’est dans cette danse entre l’ombre et la lumière que nous trouvons un équilibre, un moyen de comprendre et d’accepter toutes les parties de notre être.
*Sophie est un personnage fictif inspiré par mon expérience de l’accompagnement thérapeutique